Cela faisait des années que j’entendais parler du jeu (motorisé sous DnD 3.5 jusqu’alors). J’en avais vu de jolies couvertures, et j’aimais bien le concept, même si – de loin – je le trouvais un peu caricatural : “ On va jouer au Seigneur des Anneaux, mais comme si Sauron avait gagné “. Un pitch simpliste. Je m’étais dit “ Pourquoi pas, pour un one shot… “
Et puis j’ai ouï dire qu’Edge ressortait une édition, en 5è édition du jeu avec des dragons et des donjons, mais dans l’univers de Midnight. Tiens, la 5e – qui décline à peu près tout aux US, moins en France – dans un univers sombre ? Moi qui suis friand de dark (fantasy avec Vampire Dark Ages, contemporain avec le Monde des Ténèbres, ou futuriste-occulte avec NOC), je me suis dit que ce serait l’occasion de découvrir. J’ai sauté sur l’occasion. Et je n’ai pas regretté !
Au début, il y eut l’Eclipse
Oui, parce qu’un jeu dark en plein soleil, sauf Dark Sun et ses sables brûlants, je ne connais pas. Donc Midnight, qu’est-ce donc ? Et bien… On joue au Seigneur des Anneaux mais comme si Saur… “ Ah oui, mais non, en fait. Enfin, pas seulement. Je précise.
En quelques mots, on joue dans un monde qui a été coupé des autres plans d’existence suite au bannissement d’un dieu mauvais, Izrador. Celui-ci chute en Eredane (là où on joue) il y a à peu près 7 000 ans. Cela n’a pas été sans conséquence, pas tant à cause d’Izrador en personne (qui va mettre quelques millénaires à se remettre de ses émotions), mais parce que les dieux qui ont condamné Izrador à l’exil ont coupé le plan d’Eredane des autres plans, pour être sûrs qu’il reste exilé.
Et du coup, les dieux ont exilé tous les habitants d’Eredane. Juste des victimes collatérales, hein. Tranquille. Le premier effet kiss cool, c’est que les dieux ne sont plus accessibles aux habitants d’Eredane, pas plus que la magie liée aux plans ou aux déplacements entre les plans (tiens, un univers qui n’est pas accessible via Planescape, pour le coup). Le deuxième effet kiss cool, c’est que les âmes des morts ne peuvent plus accéder au Paradis ou à l’Enfer. Elles restent prisonnières d’Eredane, et peuvent même ne pas quitter le corps du mort… si bien qu’il se relève au bout de quelques jours après son décès, rendu fou par sa mort, avec des fragments de conscience et une faim de chair humaine dévorante. Quand Mamie Germaine meurt dans son lit, si on ne lui tranche pas la tête ou si on ne la brûle pas, elle se relève pour dévorer ses petits enfants (en les appelant par leur prénom). Ambiance.
On se réveille là dedans ?
Bon, et Izrador, il ne reste pas à dormir tranquillement dans son coin. Une fois qu’il s’est remis de sa chute, il se dit “ Tiens, quitte à être dans une prison, autant la diriger “ (ça me rappelle une saison de Prison Break, ça !), et il lève une armée d’orques, facilement manipulables, et il s’attaque aux Peuples Libres. Par deux fois, il se fait rouler dessus, mais la troisième est la bonne : des généraux des Peuples Libres – qu’il avait corrompu comme il faut – trahissent, les Peuples Libres n’arrivent plus à s’unir, et avec son armée d’orques et de morts vivants, il commence l’invasion du monde.
Courageux mais pas fous, les Elfes se planquent dans leur forêt, les Nains se réfugient dans leurs montagnes, les humains sont oppressés dans des villes occupées, les halfelins sont massacrés ou asservis, et les gnomes se la jouent Suisse en pleine invasion nazie : on est neutre mais on aide un peu l’occupant quand même pour pas finir comme les halfelins (mais on aide les résistants en douce).
D’ailleurs, c’est ça qu’on nous propose d’incarner : des résistants. Globalement, tout le monde est conscient qu’un Dieu ne peut être tué. Mais ses Lieutenants, si. Et même, Izrador n’a pas réussi à tout conquérir. Les personnages des joueurs vont donc incarner un espoir, mais dans un monde qui craint pour sa vie, qui ne mange pas à sa faim, qui subit l’oppression au quotidien. Il va falloir composer avec les délateurs, les traîtres et les pauvres hères qui veulent juste signaler aux orques des types un peu bizarres, en échange d’un sac de grain, histoire de passer l’hiver.
Comment est-ce présenté ?
Midnight l’Héritage des Ténèbres (HdT) est un livre-univers. Il est nécessaire d’avoir le Livre des Joueurs des règles 5e pour le faire jouer (et sans doute le triptyque ne serait pas mal venu en entier). En fait, Midnight HdT vient amender les règles du jeu pour qu’elles collent bien à son univers. On y joue des humains, des elfes, des nains, des gnomes ou des halfelins, et c’est tout. Ah si, des orques aussi. Parce que tous ne sont pas de serviles guerriers d’Izrador.
Et niveau classes jouables, c’est aussi plus limité que le SRD 5e, mais parfaitement cohérent avec la proposition narrative de l’univers : les sorciers, les moines, les prêtres ne sont pas jouables dans Midnight. Ben oui, pour ces derniers, le seul dieu à répondre encore aux prières, c’est Izrador. D’ailleurs, lui compte de nombreux clercs à son service. On les appelle les Légats, et ils ne sont pas du genre commodes…
Midnight HdT a une bonne idée ensuite : il groupe des Dons, un classique du SRD 5e, dans une arborescence cohérente, appelée Voie héroïque. Ces voies sont uniques (tu ne peux pas suivre plusieurs voies), et progressives (tu débloques un Don, et dans quelques niveaux, le Don suivant si tu as pris le premier).
Viennent ensuite les Historiques, liens et autres détails de création de personnage très appréciables – et forcément adaptés à Midnight, puis des Dons supplémentaires (non liés aux voies).
Sont enfin présentées des variations de sorts (oui, à cause de l’Eclipse, certains sorts ne sont pas disponibles ou sont modifiés) des armes spécifiques (car les armes sont interdites par l’Ombre, donc pour se défendre, il faut réinventer des armes qui sont moins décelables des fouilles ennemies), etc…
Et ça, ce ne sont que les 100 premières pages.
Un univers complet
Les 200 pages qui suivent décrivent Eredane. Chaque région, chaque province a droit à un descriptif de plusieurs pages. Si on compare avec le Guide des Aventuriers de la côte des Epées, c’est le double de pages consacrées à la description du cadre de jeu.
Ici, on distingue trois régions principales : les terres humaines (l’Erenlande), les royaumes elfes (l’Erethor) et les domaines nains (les Kaladrunes). Dans la première région, l’Ombre a posé ses valises et oppresse la populace pour obtenir des vivres, des troupes (asservies) et pour traquer lanceurs de sorts et résistants.
Ah oui, parce que je ne vous ai pas dit, mais Izrador n’aime pas beaucoup les magiciens. Comme vous, il pense qu’ils sont overcheatés passé un certain level, et il leur fait la chasse, soit pour les tuer, soit pour les corrompre. Dans les deux cas, la magie n’est pas bien vue, surtout que ses Légats sont capables de repérer un lanceur de sort dans les environs. De quoi vivre sans trop la ramener avec ses boules de feu (enfin une façon d’équilibrer les lanceurs de sorts ?), au grand plaisir des compagnons non magiciens.
Un autre truc qu’Izrador n’aime pas, ce sont les Elfes et les Nains. Les descendants des Fées, comme l’Ombre les appelle, et c’est pour détruire leurs forteresses ou leurs royaumes sylvestres que le Dieu Noir déploie beaucoup d’énergie (et de légions orques).
De fait, incarner un elfe ou un nain dans une aventure de Midnight relève du défi (qu’on a envie de relever) : si les orques ne te repèrent pas, il y a de bonnes chances qu’un paysan te dénonce pour une bouchée de pain.
C’est chaud, n’est-ce pas ? On sort des univers classiques, aseptisés, et d’ailleurs, c’est tout un chapitre pour le Meneur qui est consacré à la gestion des thèmes durs et sombres. Après tout, avant de vivre une aventure qui commence par des violences sur des enfants d’esclaves halfelins, il vaut mieux savoir où on met les pieds, et clairement, je recommande Midnight l’Héritage des Ténèbres aux joueurs avertis (et adultes).
Ah, j’oubliais la soixantaine de pages consacrées au Dieu Noir, à ses Légats, à ses troupes, aux Forcenés et aux Orques et à toutes les créatures qu’on peut trouver en Eredane, et on a fait le tour de cet épais volume qui contient tout pour jouer dans cet univers.
Tout ? Non, pas tout malheureusement. Il manque un scénario – oui, c’est le scénariste en moi qui parle – mais pour être honnête, je ne vois pas comment il pourrait entrer dans ce volume de plus de 360 pages. Edge projette une sortie prochaine d’une campagne dans cet univers (qui fera visiter plusieurs régions, se confronter aux pires Légats d’Izrador et d’autres créatures qu’il vaut mieux ne pas déranger), mais avec le contenu du livre l’Héritage des Ténèbres, vous avez de quoi lancer des parties sans grande difficulté.
Mon avis ?
Vous l’avez sans doute compris : je suis conquis. On a un monde cohérent, vraiment riche et finalement très éloigné du “ Et si Sauron avait gagné “, même si par de nombreux côtés, on retrouve une low fantasy proche du Seigneur des Anneaux. C’est “ Et si Sauron avait gagné “ mais avec vingt ans de développement derrière.
C’est de la 5e, mais de la 5e revue et adaptée. Les lanceurs de sorts ne sont plus aussi courants (à ma table, ça ne se bat pas pour jouer un magicien), ni aussi puissants (finie la téléportation et l’invocation de monstres !). Moins de classes mais rendues héroïques par un système de Dons.
La maquette est magnifique, le texte est clair, bien organisé. On y trouve vraiment les outils pour mener dans cet univers, aussi bien côté joueur que meneur, et c’est 250 pages de fluff (de contenu de contexte)
Et le jeu encourage aux choix moraux, et ça j’adore. La mère dépenaillée qui t’a vu lancer un sort, tu sais qu’elle peut te dénoncer en échange de vivres pour sa famille. Et si tu la tues, elle se relèvera en Forcenée (et pourra quand même te dénoncer puisqu’elle aura quelques souvenirs encore) pour aller bouffer ses enfants.
Alors ? C’est à ton tour de jouer. Que fais-tu ?
~Orion⭐
Ca donne envie ! Je crois que j’ai la v3.5 de Midnight au fond d’un carton. Jamais ouvert car comme toi, les rumeurs ne m’avait pas emballé. Par contre ta description de ce nouveau Midnight rebat un peu les cartes ! Faudra que je regarde ça, même si le côté DD5e ne m’intéresse pas spécialement.
En tout cas merci pour ton retour 🙂